La porte de sortie de la crise : miser sur le capital humain et un changement culturel
Notre contrat moral vis-à-vis de la vie et de nos enfants
L’Histoire de l’humanité a connu une accélération au XXe siècle avec la participation des femmes au développement économique des pays occidentaux. Nécessité fait loi, et les deux guerres mondiales ont poussé les femmes à remplacer les hommes partis à la guerre. À partir de la libération de la France, en 1944, les femmes ont pu accéder progressivement aux droits fondamentaux : de participer à la vie démocratique avec le droit de voter et de se présenter à l’élection, puis à la vie économique en obtenant le droit d’utiliser librement leur argent en 1965 et enfin sur leur corps et leur famille avec la contraception (1967), le partage de l’autorité parentale (1970) et l’IVG (1975) notamment. Souvent, des lois sont intervenues pour les protéger parce qu’elles sont considérées comme plus faibles : pendant ou après la maternité, ou pour accéder aux postes de pouvoir, comme la loi sur les quotas pour les conseils d’administration.
Ainsi jusqu’à présent, c’est donc le système qui leur « donne » les droits, gagnés un par un, de haute lutte. Jamais encore elles ne les ont pris.
La période de la crise sanitaire du Coronavirus 19 a encore accentué cet état de fait et de droit.
Les médias ont mis l’accent sur le caractère précaire mais si essentiel des femmes infirmières, ou des caissières des grandes surfaces qui ont permis à la population malade ou confinée de tenir le coup.
Les violences conjugales ont augmenté dans des proportions épouvantables (plus de 30%) pendant la période, les femmes étant enfermées avec leur agresseur.
Que retiendrons-nous de cette période ?
Que les femmes sont des victimes, mal payées, peu valorisées, et violentées.
Quasiment aucun article de presse n’a mis en valeur toutes ces femmes formidables, cadres supérieures, qui ont été en charge de la gestion de la crise dans les entreprises. Quasiment aucune femme experte, scientifique, philosophe, n’a été interrogée pendant cette période alors que les plateaux de TV et les « unes » ne présentaient que des hommes. Cf. Une du Parisien du 5 avril 2020.
Seul le collectif 2GAP vient de publier une lettre ouverte au Président de la République pour réclamer plus de femmes dans la gouvernance.
« Où sont les femmes ? » ai-je déjà écrit précédemment pendant la crise.
Je pressentais déjà que la question de l’égalité entre les femmes et les hommes allait être éludée, remplacée par le sujet des femmes victimes ou autre sujet.
Aujourd’hui, nous sommes à la veille du déconfinement total, et la question de l’égalité est effectivement en train de disparaître des radars au profit de la reprise de la consommation par la production mais aussi paradoxalement par le projet d’un « green deal » qui ne semble pas être si salvateur que cela.
Comment concilier des injonctions aussi paradoxales que la relance de la consommation de masse et la dépollution de notre planète quand déjà la mer Méditerranée est remplie de masques usagés et que la production de plastiques a augmentée dans des proportions gigantesques pendant la crise sanitaire. Mais il s’agit de « plastique qui sauve des vies » nous a-t-on expliqué.
Maintenant que les applaudissements ont cessé pour les infirmières et le personnel soignant, et que la lutte contre la violence domestique est confiée à « Angela », que deviennent les autres femmes et la question cruciale de l’égalité et du respect entre chacun.e ?
Que devient le capital humain, composant premier de l’Humanité ?
Pourquoi les enjeux de ce capital humain, qui passent par son équilibre entre les genres, ne sont-ils plus envisagés, si ce n’est sous l’angle d’une minorité qu’il faut protéger ?
Je pose cette question fondamentale : a-t-on déjà vu une minorité vulnérable prendre le pouvoir ?
L’heure est grave, car après avoir vanté l’importance des soft skills pendant la crise, la valeur suprême de la résilience et la conciliation des temps de vie en un seul espace, on switche vers de tout autres sujets qui sont très loin de l’utopie du confinement où nous nous prenions à rêver d’un monde d’après, meilleur, plus juste, plus durable.
Aujourd’hui, il faut produire donc polluer car on n’a pas le temps de revoir les systèmes. Il faut consommer pour conserver les emplois, alors qu’il conviendrait de s’interroger sur les emplois de demain en lien avec l’IA qui d’ici quelques années aura bouleversé la donne actuelle. (Cf. Somme Toutes L’Express du 21/04/2020)
Mais il faut aussi s’engager pour sauver la planète !
Mais ce n’est pas la planète qu’il faut sauver, c’est l’humanité. La planète nous survivra, nous ne nous survivrons pas à nous-mêmes à ce rythme…
Il est urgent de remettre le capital humain au cœur du projet politique de la France, de l’Europe, du monde.
Urgent de redéfinir un nouveau contrat social (Cf. Somme Toutes L’Express 05/04/2020) plus juste, plus équitable, plus équilibré.
Urgent de porter ce message d’égalité et donc de prospérité au plus haut niveau pour éclairer les esprits et les projets.
Ce qui doit nous motiver, c’est le mieux-être de notre humanité. Et la marge est grande pour y parvenir.
Mieux-être individuel et collectif.
Le confinement nous a appris que chacun.e est en mesure de trouver son mode d’épanouissement. Ce fut une période test pour mieux nous connaître individuellement, d’appréhender notre environnement familial, amical, social, de faire le point sur nos priorités, de nous interroger sur le sens de notre vie dans un contexte anxiogène où la mort était présente à chaque instant.
Dans nos sociétés occidentales où il est devenu interdit de vieillir et pire de mourir, le Codiv19 nous a rappelé notre condition humaine, d’humble mortel.
N’allons pas à nouveau nous engouffrer dans un tourbillon frénétique pour oublier à nouveau notre destinée humaine.
Repensons le système pour une humanité éveillée à sa propre condition et à ses limites.
« On ne vit qu’une fois », alors vivons cette vie dans le maximum d’harmonie. Et cette harmonie passe par notre équilibre intérieur entre notre anima et notre animus, par l’équilibre extérieur entre les femmes et les hommes dans leurs diversités.
L’après Covid-19 doit servir d’enseignement pour créer un nouveau modèle de société : faire cesser le système de la domination d’un genre sur l’autre.
Car au sein même de ce groupe de dominants, masculins vous l’aurez compris, une minorité d’entre eux domine les autres, qui eux-mêmes vont dominer le groupe des femmes.
Ces relations de dominé.e.s/dominants créent des déséquilibres et sont la source de la pauvreté, de l’ignorance, de l’asservissement aux croyances traditionnelles, inspirées par les religions ou les archétypes, qui dans les deux cas, ne reconnaissent pas les femmes à part égale, ou plus modernes, de la production/consommation de masse qui in fine détruit la planète.
Pour y parvenir, le chemin semble encore bien long. Car il s’agit de changer de posture aussi bien individuelle que collective et de culture.
Nous n’en sommes aujourd’hui qu’au stade de la découverte des inégalités et de leur dénonciation. On s’insurge, on manifeste, on fait des clips et des tribunes pour pointer ces différences, qui parfois tournent à l’horreur, faisant des femmes des martyrs partout dans le monde.
Ou bien on essaye avec difficulté de valoriser des femmes dites « modèles » pour démontrer que cela est possible… ou pire, on tente de démontrer à coup d’études et de KPI que les femmes sont « rentables », « plus performantes » que les hommes ! Mais où est l’unité recherchée ?
Simone de Beauvoir, qui a si bien décrit les profils des femmes de son époque dans Le
deuxième sexe, estime à juste titre que les femmes n’accèderont à l’égalité que par l’autonomie financière. J’ajouterais à sa vision, à la lumière de ce nouveau siècle, que le plus important est d’avoir acquis la liberté intérieure d’être femme ou homme, dans sa complétude, en se débarrassant du poids de l’Histoire.
Pour une femme aujourd’hui, être autonome, voire aux commandes, n’est pas suffisant pour changer le monde.
Nous devons brûler cette étape pour passer rapidement à une culture inclusive où les règles du jeu seraient rebattues avec de nouvelles valeurs. Alors que nous vivons plus que centenaires, nous avons toutes et tous le droit le plus absolu de changer de parcours, de nous autoriser d’être expert.e et artiste, poète et scientifique. Nous avons le droit d’être sentimental et solide, parent et partie prenante à la gouvernance. Pour cela, c’est toute une réforme de nos priorités, de nos systèmes de fonctionnement, de la gouvernance qu’il faut revisiter à la lumière si belle de l’égalité entre les femmes et les hommes et du principe de la disparition des inégalités. Nous en avons les moyens, et c’est là notre porte de sortie à la crise. Cela devrait être notre unique priorité qui permettrait le rééquilibrage du tout.
Pendant la crise du coronavirus, à titre personnel nous avons appréhendé ces sujets : nos priorités vraies de vie, le télétravail, les rôles sociaux des femmes, des hommes, par métiers, par catégories sociales.
La gouvernance politique a été questionnée et devra en tenir compte dans les mois à venir.
Notre appartenance européenne, si évidente mais si fragile, etc.
C’est donc un projet essentiel, de refonte des systèmes et des institutions, une prise de conscience individuelle et collective qui nous attend. Un projet passionnant, qui nous permettra de respecter notre contrat moral vis-à-vis de la vie et de nos enfants.
Cristina Lunghi, présidente-fondatrice Arborus